Accoutumance
La routine s'installe au fur et à mesure... Tous les petits détails qui font la vie quotidienne sont passés en arrière-plan. Gino a raison, je les oublie vite. À présent, ils font partie intégrante de mes nouvelles habitudes, je ne m'en étonne plus. C'est décevant de se dire qu'en si peu de temps, j'ai arrêté de m'émerveiller de toute chose; mais c'est à la fois rassurant, car je commence à comprendre le fonctionnement, la logique d'ici, et je me surprend à penser «ma ville». Tous ceux qui ont une fois dans leur vie, changé de ville, ont constaté ce phénomène.
Alors les habitudes prennent forme : le lundi, mardi et mercredi, je passe mes journées en cours, quand j'ai un peu de temps libre je vais chez Vincent, je bois un café et regarde mes emails (comme en ce moment-même). Je mange au RU, glandouille avec nos amis jongleurs sur la pelouse en face du « Centro Cultura e Eventos », puis repars en cours l'après-midi. Alors je rentre chez moi en vélo, goûte et bien souvent j'ai des emails à envoyer soit aux professeurs d'ici pour obtenir des corrections d'exos, le lien vers les diapos du cours, les dates de partiels ou le bouquin le plus approprié à emprunter à la bibliothèque, soit aux professeurs de là-bas, pour mon changement d'orientation vers Génie Physique. Ensuite Nina rentre, vers 18h, 18h30, elle me dit qu'elle doit bosser mais finit toujours par discuter avec moi pendant 1h, 1h30, autour d'un thé ou d'une bière selon l'humeur, de politique, d'économie, d'écologie, d'éducation, de magouilles du gouvernement. Elle fait partie d'une sorte d'association syndicaliste nationale des étudiants en pharmacie, et donc m'apprend énormément sur tous ces sujets. Puis on mange, parfois toutes les deux, parfois avec Vincent, quand il reste dormir chez moi. Marta ne rentre que beaucoup plus tard, vers 21h30, parfois 22h, à cause de son nouveau travail dans une grande chaîne de télé brésilienne : Record. Elle est journaliste sur le terrain pour les infos régionales.
Le mardi soir, il y a un
rendez-vous de jonglerie à Lagoa da Conceição.
Les autres soirs, soit on loque et on dort, soit on sort, au bar
Pida, point de rencontre des
étudiants en quête de fête, ou bien chez des amis.
À partir de jeudi et jusqu'à dimanche, je suis en
weekend. J'en profite pour dormir, rattraper mon retard monstre en
électronique, faire des balades autour de l'île,
regarder un film lorsqu'il pleut, acheter des fruits, légumes,
du poisson et du fromage au petit marché du Centre, écouter
du Chico Buarque et apprendre à chanter «Garota de
Ipanema», danser la samba avec Marta, dans un bar de Lagoa. Et
en l'occurence, ce weekend, j'ai également teint mes cheveux
en rouge-orange-pétard.
Vous savez comme moi qu'une journée est vite remplie, et j'ai rarement le temps de m'ennuyer.
Post-scriptum suite au commentaire de ma sœur :
Beaucoup de mes amis qui sont déjà partis reviennent avec cette même phrase : "je n'ai pas vu le temps passer", d'une voix pleine de regrets de ne pas avoir profité d'avantage. La routine me fait peur parce que je ne veux pas avoir de remords. Il y a trop de choses que je veux faire ici, comme toujours, et qui ne se feront pas pour la plupart. J'en prends conscience à présent, et cette idée m'angoisse. Je n'arrive jamais à faire ne serait-ce qu'un tiers de ce que je veux vraiment faire, et je pensais qu'au Brésil ce serait différent, mais je me rends compte que depuis un mois et demi, il y a déjà trop de choses que j'aurais dû entamer.
J'ai d'autant plus peur de refaire les mêmes erreurs qu'avant, que cette fois-ci il y a une échéance, un avion à prendre, un moment où je me demanderai : "qu'est-ce que tu as réellement fait de ces six derniers mois ?". Ce moment venu, j'aimerais pouvoir dire : "Qu'importe, je n'ai aucun regret".