Le faux jour (II)
13h45. La prof arrive souvent à la bourre. Ce
cours-là, c’est de la physique quantique, de loin le cours le plus intéressant
que j’aie. Contrairement à l’INSA, la prof ne rentre pas énormément dans les
détails (ingénierie des matériaux, messieurs). Non, mais elle a une autre
qualité : celle d’arriver à te montrer un ensemble de phénomènes liés entre
eux, de sorte que tu aies une vision globale et une compréhension générale sur
des notions pas faciles à assimiler. Concrètement, ça donne : passer 2h30
affalée sur une chaise avec climatisation dans la salle, à écouter des
histoires de dingues, des concepts inimaginables, des anecdotes sur
qui-pouvait-pas-blairer-qui parmi la clique Bose, Einstein, Maxwell,
Schrödinger, Planck etc., et à admirer notoirement la prof imiter une collision
boson/fermion. Je crois que je n’ai jamais bu de paroles avec autant d’avidité
depuis mes 7 ans, avec les histoires de « Paul et Pauline » racontées par ma
grand-mère.
16h10 : fin du dernier cours. Par chance, il fait
encore doux. Je retourne à la Concha, où il y a déjà nettement moins de monde.
J’achète un jus de fruit de la passion (fait maison, svp) à la lanchonete, et
mange une des oranges piquées au RU quelques heures plus tôt. Je jongle un peu,
mais la fatigue de la journée me rattrape vite et je finis par m’assoir avec
des copains, à discuter et à fumer des cigarettes. Vers 18h, le soleil déjà
disparu derrière la montagne laisse place à un vent bien plus frais. Je décide
de rentrer avant que mon pull fin devienne insuffisant pour la fraîcheur du
soir. Forcément, c’est l’heure des embouteillages dans ma rue, et les conducteurs
sont d’autant plus dangereux qu’ils sont irritables.
18h30. Une fois chez moi, je fais comme toute personne
: regarde mes mails, les commentaires sur mon blog, éventuellement je mate un
épisode de « How I met your mother » avant d’aller faire les courses à
Imperatriz. Imperatriz, c’est une ligne de supermarché, genre Casino ou
Champion, et il y en a un à 3 minutes de chez moi. Bien pratique. La viande et
les fruits/légumes n’y sont pas trop chers, mais en ce qui concerne la cachaça
et les produits laitiers c’est la louze. J’achète quelques légumes, des œufs et
une mangue pour le dessert, ainsi qu’une petite bière Antártica (personne n’est
parfait). Le pain, je préfère l’acheter à la boulangerie du coin. Comme
d’habitude, la caissière aux ongles bleus s’empresse d’utiliser presque un sac
plastique par produit, lorsque je l’arrête pour lui dire que j’ai déjà un sac à
dos. Bizarrement, cette fille continue à faire des yeux ronds comme si c’était
la première fois qu’un client refusait les sacs plastiques. Alors qu’elle m’a
déjà vue au moins une cinquantaine de fois. Un jour, j’ai parlé à Marta de leur
surconsommation de sacs plastiques, au Brésil. Je lui ai raconté le nouveau
système français de ces grandes poches plus résistantes. Elle m’a regardé, étonnée,
et m’a dit « c’est bien comme système, mais vous faites comment pour la
poubelle ? ». Tilt. Ce jour-là je me suis rendue compte qu’au Brésil les
entreprises de sacs-poubelle ont dû faire faillite il y a bien longtemps.
Personne n’en utilise, tous préfèrent des micros-poubelles avec des petits
sachets gratuits que la caissière aux ongles bleus distribue avec tant de
ferveur. La raison ? 1) c’est gratuit, et 2) en été, il vaut mieux éviter de
garder une poubelle organique dans l’appartement plus d’une ou deux journées.
Mais je suis persuadée que ce problème de sacs plastiques va changer dans peu
de temps. Après tout, en France aussi c’est très récent. Et le Brésil a une
longueur d’avance sur nous niveau tri des déchets.
Bref. En rentrant chez moi, je vois que Nina est
rentrée elle aussi. Affalée sur son lit après sa douche, elle rouspète sur sa
journée cre-vante. Je la comprends : elle fait une formation sur la santé
publique tous les matins, a une pause déjeuner de 1/2h puis travaille toute
l’après-midi à la pharmacie étudiante. On se retrouve très vite à partager ma
bière, elle allongée sur le canapé orange, moi dans le hamac de la terrasse, à
parler manifestations et conscience politique, avant de changer de sujet et
converser « filles ». Ces petits moments-là, je les privilégie. Je n’ai pas
beaucoup d’amies, i-e-s, et c’est agréable de discuter avec elle. Dommage
cependant, que depuis quelques temps, nos papotages se font de plus en plus
rares : elle finit tard, je suis moins libre aussi, à la fois par le boulot qui
s’accumule que par l’idée « dans 5 semaines, je pars de Floripa, faut que j’en
profite encore ».
Vincent arrive peu après, dégoulinant de sueur après
son cours de volley. Ça, c’est une autre chose chouette ici : tous les deux
faisons du sport, lui le volley, moi la natation. J’ai beaucoup progressé, et
je me suis musclée (qui a dit « bras de moustiques » ?).
21h45. Après manger, on téléphone à Mattieu, un copain
français qui habite à Lagoa. Ils sont sur le point de regarder un film, et nous
invitent à venir les rejoindre. Ni Vincent ni moi n’avons cours le jeudi matin,
on peut bien s’accorder ça… Cinq minutes plus tard nous voilà en bas de ma rue,
à faire du stop. Ma rue, c’est LE spot pour faire du stop jusqu’à Lagoa. En
bus, ça fait un gros détour (je l’ai déjà dit je crois), mais en stop c’est
direct, et le temps d’attente dépasse rarement les 10 minutes. Ça fait partie
des charmes de Floripa : les auto-stoppeurs sont peu rares.
22h30. Arrivés là-bas, il y a Juan, Mica, Simon, Nair,
Mattieu et ses colocs. Ils ont déjà fait de la caipirinha (de la cachaça avec
du citron vert, du sucre et des glaçons). On discute, on regarde les photos de
Mattieu sur son ordi, on montre à Juan sur Youtube de quoi ça a l’air la jongle
à Toulouse (il aimerait venir), et finalement le film ne commence qu’à minuit.
Vous vous attendez à une conclusion sur mon quotidien
? Une chute ? Bah non, j’en ai pas.
Vous, par contre, je parie que vous en avez une.
« … salope… »